Ces dernières années, l’université est soumise à trois types de défis dont le nombre, l’importance et l’urgence n’ont cessé de croître.
Les premiers ne lui sont pas propres, mais interrogent en profondeur la manière dont elle définit son rôle, ses attentes et ses manières de fonctionner : transition écologique et sociale, digitalisation croissante, accélération du temps, intelligence artificielle, gestion de l’après-pandémie. D’autres encore découlent des réformes récentes de l’enseignement supérieur et de la réduction constante du montant du financement par étudiant·e : modifications de la gestion du parcours des étudiant·es, réforme de la formation initiale des enseignant·es, réforme du calendrier académique. Les derniers, inhérents à l'évolution notre institution, l'ont rendue plus multisite et plurielle que jamais dans son histoire, notamment suite à la fusion avec l’Université Saint-Louis-Bruxelles. Certes ces défis constituent autant d’opportunités d’innover et de se renouveler. Ne dit-on pas que la pression transforme le charbon en diamant? Mais cette pression nécessite toute notre attention et toute notre vigilance tant sont réels les risques et les dommages qu'elle induit.
Avant de rédiger ce programme, j’ai rencontré et consulté un nombre considérable de nos étudiant·es, de nos collègues, de nos chercheuses et chercheurs, de nos enseignant·es, sur chacun des sites et dans tous les segments de notre institution. De ces multiples rencontres je tire une évidence : notre université doit porter une attention prioritaire à la question du sens de son action et ainsi contrer la menace grandissante d’une fracture en son sein. Car si nombre d’entre vous débordent d’énergie créative et sont porté·es par un enthousiasme communicatif qui fait plaisir à voir, j’ai pleinement pris la mesure de la morosité, des inquiétudes, et trop souvent de la réelle détresse qui animent une partie grandissante de notre belle communauté universitaire. Les abandons d’études et de thèses de doctorat, l’augmentation des congés de maladie de longue durée ou les décisions de quitter l’université constituent autant de signaux d’alarme qu'il est urgent d'entendre.
Identifier clairement et collectivement les finalités de nos missions. Préserver les conditions de leur possibilité. C’est là que je vous propose de concentrer ensemble nos efforts. Des efforts qui n’auront de sens que s’ils se tournent vers un but, convenu ensemble, pour leur donner souffle et cohérence : le bien-être et l’épanouissement, individuel et collectif, de celles et ceux qui les déploient à longueur d’années.
La mission de l’université est souvent décrite sur base du triptyque “enseignement-recherche- service”. Et, tout aussi classiquement, l’“excellence” est l’objectif qu’elle s’assigne à ce triple niveau. Ma vision est que cette manière de définir la politique d’une université n’est plus de mise. Penser nos missions “en silo”, c'est faire l'impasse sur les corrélations essentielles entre ces missions et les actions qu'elles commandent. L'enseignement nourrit la recherche. La recherche nourrit l'enseignement. Comment pourrait-il en être autrement ? Diviser nos missions, c'est également leur attribuer des desseins distincts, là où c'est bien un objectif unique vers lequel elles se doivent de tendre. L'enseignement et la recherche doivent s’inscrire dans une visée de service à la communauté et à la société. La division en missions ne doit jamais conduire à désolidariser les actrices et acteurs et les métiers.
Quant à l’excellence et à la performance - telles qu’elles sont généralement définies, en référence à des normes imposées de l’extérieur, pour comparer et classer individus et institutions - elles ne constituent pas un but en soi. Il n’y a évidemment pas lieu d’y renoncer, mais plutôt de les redéfinir, de les enrichir, et de s’interroger en permanence sur ce qui leur donne sens, en termes de finalités et de conditions de possibilité. La perspective de devoir faire “autrement”, y compris “moins” et “plus simple”, pour faire “encore mieux”, doit être résolument ouverte.
L’“excellence”, plutôt qu’une norme exogène génératrice de pression ne pourrait-elle pas être la résultante d’une politique axée sur la recherche du sens, le bien-vivre au travail et l’épanouissement de toutes et tous ? Pour ma part, j’y crois. Cet “encore mieux” ne pourra être défini qu’à l’aune des objectifs que nous nous serons fixés ensemble, et ne pourra advenir que si nous accordons toute notre attention à notre robustesse, telle que la définit Olivier Hamant, et singulièrement à la préservation du bien-être de notre communauté, dans une démarche agile, capable de s’adapter en permanence aux défis émergents liés aux évolutions constantes de notre environnement physique, social, politique et économique.
C’est cette vision qui fonde les deux priorités de mon programme, autour desquelles gravitent toutes les actions qu’il propose :
A PEOPLE-BASED UNIVERSITY, une université attentive aux personnes
L’épanouissement et le bien-être de toute personne au sein de l’UCLouvain est le ressort de toutes les actions et de toutes les réussites de notre université. Ils doivent donc mobiliser toute notre attention. Je souhaite que l’institution prenne soin - care - des personnes qui la composent plutôt que de se contenter de traiter - cure - les problèmes qui y émergent. C'est pourquoi je veillerai à inscrire les actions proposées dans un cadre emprunté à la prévention des risques psychosociaux au travail, reprenant les cinq leviers sur lesquels nous pouvons agir : l’organisation du travail, son contenu, les conditions de travail, les conditions de vie au travail et les relations interpersonnelles. Je m’assurerai que les membres du personnel ainsi que les étudiant·es soient pleinement parties prenantes de ce processus. Le terme même de “communauté universitaire” pourra ainsi (re)faire sens.
A TRANSITION-FOCUSED UNIVERSITY, une université sociétalement responsable
En son sens général, le terme transition se réfère au passage d’un état à un autre, de manière lente et graduelle (à la différence d’un choc). La transition socio-écologique qui sous-tend ma seconde priorité prendra la pleine mesure de cette temporalité et veillera à combiner le respect des limites planétaires et l’atteinte des objectifs sociaux. La responsabilité sociétale de notre université doit, sur ce plan, devenir un horizon de sa stratégie de développement. Ses missions seront réfléchies en regard des objectifs du développement durable, pour contribuer à préserver une planète viable, à renforcer l’équité, à accroître la qualité de vie pour toutes et tous. L’exemplarité doit devenir la norme, tant au travers de nos programmes d’enseignement que de notre recherche, de notre fonctionnement interne et de nos engagements et partenariats avec la société civile, en Belgique et à l’international. Mon programme s’articule donc autour de propositions visant autant les membres de la communauté que les actrices et acteurs sociaux, ou encore l’institution dans son ensemble. Si je suis convaincue que l’UCLouvain doit se montrer exemplaire et ambitieuse sur ces thématiques, je mesure pleinement les difficultés concrètes qu’une telle politique pourrait rencontrer, les dilemmes qu’elles ne manquera pas de soulever et les inévitables divergences de vues quant aux solutions à adopter. Ma préoccupation à cet égard sera de privilégier la pédagogie à la culpabilisation, la responsabilisation à la réglementation, l’incitation à la coercition, la co-construction à l’injonction autoritaire. Nous n’avancerons efficacement que si nous parvenons à intégrer ces enjeux dans un récit collectif qui rassemble la communauté UCLouvain et la met en mouvement vers un horizon que chacune et chacun aura pu s’approprier.
Les deux axes ainsi décrits sont à l’évidence étroitement liés et les réalisations qu’ils dessinent se nourrissent les unes les autres. En veillant au bien-être et à l’épanouissement de sa communauté - personnel académique, personnel scientifique, personnel administratif et technique, étudiant∙es -, l’université assume une part de sa responsabilité sociétale. Inversement, cette responsabilité sociétale pourra constituer un horizon mobilisateur et motivant, donnera sens à nos efforts et nous solidarisera : le bien-être et l’épanouissement, individuels et collectifs, des membres de notre communauté, ne peuvent qu’en tirer bénéfice.